lundi, mars 19, 2007

L’homme qui marche.



Cela faisait plusieurs mois que l’homme qui marche passait et repassait devant ma fenêtre. A vrai dire, j’ai du mal à vous l’avouer, cela faisait un an que je l’avais repéré.

Une année que chaque matin où presque, je le vois déambuler sous mes fenêtres, une errance en arc de cercle, sur une dizaine de mètres à peine, toujours au même endroit, une identique trajectoire jour après jour. Sans s’arrêter ou presque.

Un grand gars costaud, avec une barbe, un anorak bleu, un jeans et des chaussures de chantier. Un homme solide. Il ne fume pas, ne boit pas non plus. Ne possède pas de sac, où alors je ne l’ai pas repéré.

Quand il pleut, il n’a pas de parapluie. Quand le soleil brille, il doit sûrement cligner des yeux, car il n’a pas de lunettes de soleil non plus.

Mais de toute façon, dans sa marche, le plus souvent, il regarde le goudron du sol.

Le soir il n’est jamais là. Certains après-midi non plus. A vrai dire il n’y a que le matin où sans défaut vous pourrez le voir.

J’ai longtemps pensé qu’il attendait quelqu’un, mais personne ne vient jamais le voir. Il ne regarde pas non plus une fenêtre de l’immeuble devant lequel il s’est posté. Tu sais, un homme qui attendrait d’apercevoir un ancien amour, où un enfant dont il n’a pas la garde. Mais ce n’est pas cela.

C’est à cause des horaires que j’ai compris. Parce que le matin les centres d’hébergement des sans abris ferment leurs portes tôt, à 8 heures, je crois et qu’après ils sont dans la rue jusqu’au soir. Et puis parce qu’il est jour après jour habillé du même jeans et du même anorak bleu. Même lorsqu’il fait chaud.

Une après midi, une seule fois, je l’ai aperçu devant le supermarché au bout de la rue, il était immobile. Je crois que les après midi il marche devant un autre immeuble, pas loin. Pour ne pas trop effrayer.

Je savais que j’aurais dû lui parler. Depuis bien longtemps. Je me l’étais promis l’an passé déjà.

Mais moi aussi j’ai des soucis. Je sors d’un deuil amoureux. Je viens de perdre mon emploi, une collègue m’a trahie, mes parents me font la tête parce qu’ils sont inquiets. Je suis triste et cela me rends injuste, alors je manque de perdre mon amoureux.
Voilà, moi aussi je suis préoccupée.

Mais cela n’explique, n’excuse rien. C’est un bon prétexte les soucis, mais cela n’a jamais empêché d’aider son prochain.

Alors c’est peut être de la peur car il n’est pas jeune la quarantaine peut être, derrière sa barbe c’est difficile lui donner un âge, et parce qu’entre lui et moi il y a un treillage en fil de fer. Une barrière verte. Pas des barbelés, une chose dont je pourrais faire le tour sans me blesser.

Mais les barrières sont comme les soucis, des échappatoires pour ne pas aller vers les autres.

J’ai parlé de l’homme qui marche à ma voisine de palier, une dame âgée, qui elle aussi regarde beaucoup par la fenêtre. Il lui fait un peu peur, il est costaud me dit-elle. Elle me déconseille d’aller vers lui. Alors je ne fais rien, planquée bien au chaud derrière les fenêtres/soucis/barrières/conseils.

Un jour l’homme qui marche ne sera plus là. Ni ce matin, ni ceux d’après. Après les remords, ce sera le temps des regrets. Et puis j’oublierai celui qui marchait.

peinture : http://www.christophe-hohler.com/

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