jeudi, août 31, 2006

Un homme dans la poche - Aurélie FILIPPETI

" Depuis longtemps, je n’ai plus de nouvelles de toi.
J’ai croisé ton visage deux ou trois fois, tout au plus. Il me reste à imaginer ce que tu gardes de nous. Je préférerais que ce passé ne se soit pas écoulé comme la pluie dans la mer, mais j’ai pris le parti d’oublier la douleur. L’anesthésie. Je ne te juge pas. Je ne pense plus rien de toi.
Avant, oui, je pleurais, tous les jours, chaque moment sans toi était souffrance, arrachement de ma peau.
J’avais en moi une force, là, au milieu du ventre, qui m’encrochetait mes entrailles comme un hameçon de pêcheur. Partout derrière toi flottait ce filin, minuscule mais tenace, et tout à l’autre bout du nylon fragile, il y avait moi qui, comme une ombre, à distance suivais.
Où que tu ailles, ma pensée t’accompagnait. Bien sur, cela devait prendre fin.
On restait des heures à faire l’amour dans ma chambre en pleine semaine et lorsque ta main touchait la peau autour de mon cœur, ma peau n’était plus qu’une extension de mon cœur.
Pour la première fois, j’aimais aimer.
Jamais je n’avais osé en rêver car tout ce bonheur dégoulinant, ce n’était pas pour moi, forcément, avec toute cette colère, cette hargne, de n’être pas au monde du côté qu’il fallait, de traîner derrière soi tous ces fantômes d’acier.
Et te voilà, toi, comme si fait justement pour ça, à ma méchante mesure.
Quand on vise à côté on n’a pas de mauvaise surprise, pensais-je, mais c’était faux, la juste mesure de l’amour c’était cette adéquation entre toi et moi.
Nous étions deux égaux, du moins le croyais-je. Il n’y avait plus que la folie douce d’imaginer que cette rage dans moi en amour pleuvait sur tes lèvres.
Fin des grignotages entre deux draps : juste le bonheur de se régaler toi de moi, moi de toi.

A tant t’aimer, à tant me croire aimer, aujourd’hui je t’ai perdu, mon amour."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire